Plus de régulation sur les marchés financiers : un faux débat

Publié le par labetepensante

Source : Au-delà de la transparence de l’information, contrôler la liquidité, par André Orléan, revue Esprit de novembre 2008

 

 

Dans cet article, André Orléan (1) fait un premier constat : celui du mimétisme des marchés financiers. Si les titres adossés aux crédits hypothécaires immobiliers permettaient des rendements à des taux inégalables et rapidement, l’inconséquence, sur les marchés financiers, aurait été de ne pas suivre le mouvement. Ce que relève en outre André Orléan, c’est le poids des média dans la réflexion actuelle sur l’idée d’une plus grande régulation des marchés financiers. Le martèlement ou la reprise de cette idée étoufferait le véritable débat. En effet, la question ne serait pas de réguler un marché qui est déjà fortement réglementé. Cette idée servirait d’ailleurs d’écran de fumée pour masquer la pauvreté intellectuelle du débat. Rappelons que le système financier tel que nous le connaissons aujourd’hui est le fruit d’une politique normative hautement théorisée. Il s’agit de la politique de la concurrence.

 

 

André Orléan remet donc les points sur les i. « On parle beaucoup [de la dérégulation] sans que personne ne se soucie jamais (ou rarement) d’expliciter quels sont les principes de régulation à mettre en œuvre. » Pour cela, il reprend la pensée de Michel Foucault dans Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. « la concurrence pure ne peut être que le résultat d’un long effort (…). La concurrence pure ça doit être, et ça ne peut être qu’un objectif, un objectif qui suppose, par conséquent, une politique indéfiniment active. La concurrence, c’est un objectif historique de l’art gouvernemental, ce n’est pas une donnée de nature à respecter. »

 

 

 

La théorie régnant dans le système capitaliste classique est celle de l’efficience des marchés. Autrement dit, les marchés boursiers sont à même de donner les meilleures évaluations de la valeur des titres, car ces évaluations intègreraient toutes les informations disponibles. Nous savons que ceci est faux. Néanmoins, cette conception n’est pas aujourd’hui remise en question, bien au contraire. En effet, elle se retrouve directement appliquée aux bilans comptables des banques dans le cas qui nous intéresse, celui de la crise financière. Les normes comptables sont telles que l’ évaluation des bilans doit se faire en conformité avec les prix du marché. Puisque les marchés financiers sont à même de dicter la valeurs des titres, quoi de plus normal que ce soit cette valeur, précisément, qui figure aux bilans comptables ? C’est une conséquence directe de la théorie de l’efficience des marchés.

 

 

La finance néo-classique

 

Cette théorie de l’efficience des marchés est un paradigme à la fois politique, économique, et intellectuel. Dans cette optique, la spéculation véhicule une valeur positive : c’est ainsi que l’information forme le prix. Elle a, selon la conception néoclassique, un caractère structurant, et il serait, toujours selon cette conception, aberrant de la remettre en question.

 

 

La position keynésienne

 

 

On a beaucoup parlé de Keynes récemment, parce qu’il est à l’origine d’une pensée qui s’oppose à la théorie de la finance néo-classique. Mais il n’existe pas de construction théorique de la finance keynésienne comparable à la construction théorique de la finance néo-classique. Les références à Keynes relèvent plus de prises de positions idéologiques. Mais c’est en cela qu’elles sont intéressantes : « La spécificité de l’approche keynésienne est de considérer avec méfiance les marchés financiers. Keynes ne croit absolument pas à l’efficience des marchés » explique encore André Orléan dans son article. Selon Keynes, il n’existe pas d’estimation juste des valeurs sur les marchés, car par définition, l’avenir est incertain. La spéculation ne peut avoir de rôle structurant. La seule fonction des marchés, dans cette optique, est de rendre les investissements liquides, c’est-à-dire permettre les investissements sous forme de titres, ceux-ci étant fondés sur des appréciation subjectives. Le rôle des marchés est donc simplement de favoriser l’investissement.

On comprend alors mieux le danger qu’ils représentent. Alors que le capital tangible reste immobilisé, dans les moyens de production, la liquidité des investissements peut facilement se déconnecter de cette réalité tangible. Elle crée des mouvements à la hausse ou à la baisse sur les marchés, indépendamment de la réalité économique. C’est ce que Keynes appelle « le dilemme de la liquidité », et ce qui l’incite à avoir ce regard méfiant et prudent concernant les marchés.

 

 

La fausse question de la transparence

 

Selon les analyses de la crise financière actuelle, les problèmes résident dans l’opacité des titres qui ont été émis à partir des subprimes. Si l’évaluation des risques avait été transparente, cette crise n’aurait pas eu lieu. Faux dit Orléan. Le véritable problème, c’est « la logique d’interconnexion universelle permettant la circulation totalement libre du capital ». Si pour autant la question n’est pas relevée, c’est par défaut d’une alternative intellectuelle capable de remettre en cause le paradigme financier néo-classique. Lorsqu’on nous dit que les titres incriminés qui ont pourri les bilans des banques ont été mal conçus à l’origine, trop opaques, sans visibilité sur les risques, et qu’un peu plus de régulation changera la donne, c’est une vue l’esprit. Toujours dans son article, André Orléan prend pour référence le cas de la bulle internet en 2000. Dans ce cas-là, il n’y avait pas d’opacité. Les investisseurs savaient pertinemment qu’ils achetaient des valeurs technologiques de sociétés déficitaires. A l’époque, ces déficits étaient interprétés comme une marque d’audace, une promesse de revenus à venir quoi qu’il en soit. Même s’il fallait sacrifier 10 valeurs d’un portefeuille pour qu’une seule rapporte, cette dernière recouvrait largement les pertes des 9 autres. Pour se prémunir des emballements boursiers, l’idée au contraire serait de revenir sur cette « interconnexion généralisée » des marchés « qui transforme un choc d’ampleur limitée, les subprimes, en une crise majeure via la propagation du marché immobilier aux marchés des dettes titrisées, puis aux bourses des valeurs, jusqu’au marché interbancaire ».

 

 

 

 

 

La politique de libéralisation des marchés financiers en France

 

La libéralisation a été fortement impulsée par l’action de l’Etat, historiquement sous le gouvernement Bérégovoy en France. L’objectif était d’en finir avec les cloisonnements des marchés, notion primordiale pour comprendre l’extension actuelle de la crise à l’ensemble du système financier. Il s’agissait donc d’un projet politique. Il fallait faire en sorte que le capital puisse être distribué au mieux sur les marchés. Pour cela, il fallait créer un marché financier unique. Il a alors été question de réunir sur les marchés tous les intervenants (banques, fonds, entreprises, états, particuliers), qui auraient à leur disposition tous les instruments financiers (actions, obligations, dérivés, …) et quelque soit la  maturité des investissements : à long, moyen, ou court terme. Pour simplifier : la libéralisation des marchés qui s’est opérée par la volonté politique de l’Etat a fondé la liquidité des investissements, laquelle, aujourd’hui, est au cœur des crises financières.  

 

 

 

 

 

(1) André Orléan est directeur de recherche au CNRS, auteur du Pouvoir de la Finance, Paris, éditions Odile Jacob, 1999. Il a également écrit plusieurs articles pour la revue Esprit sur les crises financières, et le capitalisme financier.

 

 

 

 

Publié dans Finance internationale

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D
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B
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